Film d’ouverture aux dernières Journées de Soleure et présenté en février à Berlin, Les Paradis de Diane est la première coréalisation des cinéastes suisses Carmen Jaquier, à qui l'on doit le très remarqué Foudre sorti l'année passée, et Jan Gassmann, réalisateur de 99 Moons et Europe, she loves. Ensemble, le duo brosse le portrait d’une femme qui fuit la maternité alors qu’elle vient d’accoucher. Ils signent un film intime, politique et onirique, qui, sous la forme d'une odyssée intérieure, interroge le mythe de la maternité et de la famille nucléaire. Séance spéciale en présence des cinéastes.
LeS Paradis de Diane de Carmen Jaquier et Jan Gassmann
(Fiction, Suisse, 2024, 1h35, v.o. s-t fr., 16/16) – La nuit de la naissance de son premier enfant, Diane s’enfuit de la maternité. Elle aurait pu faire partie de ce clan: maternelle, instinctive, puissante, mais au contraire, elle assiste à l’effondrement de ses idéaux. Débute alors pour elle un voyage, source d’une transformation intérieure et extérieure. Cependant, les changements que subit son corps lui rappellent ce qu'elle fuit…
Carmen Jaquier et Jan Gassmann à propos de leur film
L’idée du film est née le jour où j’ai (ndlr. Carmen Jaquier) découvert qu’une amie proche avait traversé une longue période de dépression après avoir donné naissance à sa fille. Une souffrance qu’elle avait cachée durant des années, trop honteuse de ne pas avoir ressenti un amour instantané pour son bébé. Profondément touchée par cette confession, il me semblait urgent d’envisager la maternité, dans son ensemble, comme un thème politique, philosophique et esthétique. J’ai commencé des recherches à travers les quelques livres et articles concernant les souffrances liées au post-partum et notamment liées à la question du "regretting motherhood" qui commençait à peine à être débattue dans la sphère publique.
Carmen m’a fait lire (ndlr. à Jan Gassmann) une première version du scénario en 2017. Elle venait de découvrir mes films, nous n’avions pas encore regardé les films de l’autre. Cette plongée dans nos travaux respectifs, Carmen avec son écriture très visuelle, moi avec ma façon de travailler en intégrant le réel à la fiction, a fait naître le désir d’un projet commun. Ensemble, nous avons récolté une cinquantaine de témoignages bouleversants de femmes, où il était question de choc émotionnel et physique, des tensions entre le corps maternel et le corps sexuel, d’un sentiment d’extrême solitude. Je me souviens avoir été frappé lorsque l’une d’entre elles nous a confié avoir manqué de courage à la maternité, se disant que puisque son enfant était entre de bonnes mains, elle aurait dû partir loin... Nous voulions transformer cette idée de l’abandon d’un enfant, qui était souvent restée à l’état de pensée secrète chez ces femmes et le retranscrire en un voyage cinématographique.
Avec Les Paradis de Diane, nous voulions proposer un autre regard, un autre langage que celui du jargon médical. Le "baby blues" et la "dépression post-partum" sont des concepts flous qui pathologisent et culpabilisent souvent les mères. Nous voulions envisager la rupture avec un enfant et le traitement de la maternité d’une autre façon. Dans une société où les femmes intègrent dès le plus jeune âge des normes sexistes, l’arrivée d’un enfant peut cristalliser les frustrations, les restrictions et les inégalités sociales liées au genre. La grossesse peut être le moment de la prise de conscience de ces injustices. Nous voulions envisager l’événement de la naissance comme le catalyseur d’une lucidité subite et douloureuse. Celle de refuser le rôle de mère.